La maladie de Paul KLEE
Paul Klee, de nationalité allemande, est né en 1879 et a grandi à Berne. Fils d´un professeur de musique et d´une cantatrice, il s’est avéré très tôt comme un excellent musicien, un dessinateur et un peintre hors pair.
Il s’est marié en 1906 avec la pianiste Lily Stumpf, et ils se sont installés à Munich. Dans les années 1911-1912, Klee rencontra August Macke et Vassily Kandinsky, puis Robert Delaunay, Hans Arp et Franz Marc, qui étaient les peintres avant-gardistes du moment. Ils échangèrent et produisirent des œuvres exceptionnelles.
Leur mouvement pictural dénommé le Cavalier Bleu “Der Blaue Reiter” tint sa 2° exposition en 1912 à Munich. Klee y participa avec 17 œuvres.
En 1914, Klee fit un voyage décisif en Tunisie. Son enthousiasme pour la palette chromatique méditerranéenne explosa : “La couleur et moi sommes un. Je suis peintre.”
En 1920, Klee intégra comme enseignant le Bauhaus (école d’art) de Weimar, qui sera attaqué par l´extrême droite comme “un foyer de bolchevisme culturel” ; il déménagea en 1923 à Dessau où il travailla comme professeur d’art. Sa production artistique augmenta, de même que son impact pédagogique auprès de ses élèves. Il participa à la première exposition surréaliste à Paris, et obtint en 1930 un poste de professeur à l´Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf.
Le destin de Paul Klee bascula lors de l’accession au pouvoir de Hitler en Allemagne. Il devint rapidement évident que Klee était un opposant irréductible au nazisme ; il fut donc la cible d’une propagande agressive, accusé d’être juif et de dégénéré, et son contrat de professeur fut rompu brutalement sans préavis en 1933.
Klee fut donc amené à une émigration forcée. Naturellement il dirigea ses pas vers son pays natal, à Berne en Suisse. Malheureusement, tandis que l’art de Klee subissait un dénigrement systématique qui culmina dans l’exposition “l’art dégénéré” (1935) en Allemagne, Klee recevait un accueil froid voire glacial dans le milieu artistique suisse, où son art fut critiqué comme “puéril”, “schizophrène”, “bête”.
Klee tomba donc dans un isolement intellectuel et artistique profond, favorisant une création autarcique. Il surcompensa cette difficulté par une production intense et diverse de dessins, d’aquarelles et d’huiles sur des thèmes très variés.
Sa devise était “aucun jour sans tracer une ligne”.
Second traumatisme, Klee se trouva confronté en 1935 à la maladie sous forme d’une inflammation grave des poumons, une pneumopathie. L’évolution en fut lentement favorable mais il mit six mois à récupérer suffisamment pour repeindre, et ses forces restèrent amoindries à jamais.
Klee réalisa très rapidement qu’il était entré dans une maladie chronique épuisante de pronostic sombre. Celle-ci associait une sclérose progressive du visage et du cou, respectant relativement les mains (1935) ; ceci lui permit de continuer à peindre, mais les médecins lui interdirent le violon. Il souffrit d’un reflux gastro-œsophagien sévère avec sténose peptique de l’œsophage, d’où une gêne pour avaler, principalement les aliments solides.
Ceci joint à des problèmes intestinaux et à des diarrhées obligea Klee à faire lui-même sa cuisine, pour se confectionner des purées qu’il ingurgitait par petites quantités. Il développa une anémie, et en 1936 il devint essoufflé.
Une dilatation du cœur fut constatée sur la radiographie, et son état général déclina.
Il devint progressivement hors d’haleine pour des efforts de plus en plus minimes, puis au repos. Finalement, en 1940, il fut hospitalisé dans un sanatorium du canton le plus méridional de la Suisse, le Tessin.
C’est là que le diagnostic de “myocardite”, une défaillance primitive du muscle cardiaque, fut porté, et il en mourut durant l’été 1940.
Ironiquement, ce n’est que quelques jours après sa mort qu’aboutit la demande de naturalisation suisse qu’il avait déposée à Berne dès son exil. Devenir bourgeois de cette ville était l’un des vœux les plus chers de Paul Klee, mais cette joie ne lui fut pas accordée de son vivant.
Quelle fut l’influence de ce parcours de vie dramatique sur l’œuvre du maître ? Evidemment on pouvait discuter la dépression nerveuse réactionnelle à l’ostracisme, à l’injustice et à l’incompréhension dont Klee a été victime ; la maladie elle-même a pu modifier non seulement la technique, mais aussi les thèmes et les ambiances picturales de l’artiste. Le diagnostic même de la maladie restait en suspens.
Il revenait à un Bernois de mener l’enquête. Ayant une admiration sans bornes pour Paul Klee, le Docteur Hans SUTER, dermatologue à Thoune et formé à Berne, était l’homme idéalement placé pour faire autorité en ce domaine.
Amateur et collectionneur d’art, détenteur d’une masse de documents inédits sur Paul Klee, il mena un travail long et exhaustif d’investigation dans les dossiers médicaux des différents établissements suisses où Paul Klee avait été soigné : il ne restait, plus d’un demi-siècle plus tard, rien. Ni radiographies, ni enregistrements, ni observation, ni analyses.
Tout au plus la correspondance de la famille Klee et quelques prescriptions médicales conservées par la femme de Klee.
Les témoignages du fils unique du peintre, metteur en scène, et ceux d’amis, de relations et de professionnels de l’art ont permis à Hans Suter de retracer dans un livre prestigieux la maladie de Paul Klee et le grand courage avec lequel il surmonta toutes les épreuves pour nous léguer une œuvre magistrale.
Ce livre écrit en suisse allemand fut édité en 2005 ; il restait à le traduire en français et à le diffuser. Cette aventure ne fut possible que grâce à deux excellentes traductrices, Aymone Nicolas et Catherine Briffod ; à la collaboration de l’éditeur Stämpfli ; à des relectures soigneuses par Joëlle Cabane et une relectrice suisse ; et au soutien financier et logistique du laboratoire Actelion.
L’édition française a vu le jour une semaine avant la 2° journée française sur la sclérodermie systémique en Septembre 2007, où elle fut à l’honneur ainsi que son auteur.
Un certain succès lui est promis puisqu’une traduction Anglaise du livre a été éditée en 2010. Une preuve de plus, s’il en était besoin, que Paul Klee a atteint le paradis éternel des plus grands peintres du XX° siècle.
Professeur Jean Cabane